Amédée Ozenfant est né le 15 avril 1886 à Saint-Quentin. Il est le fils aîné d’une famille de trois enfants. Le père est entrepreneur de travaux publics, la mère reste à la maison pour élever ses enfants. La famille est aisée, la grand-mère maternelle vit également dans la maison qui est vaste et confortable. La mère va souvent à Paris avec son fils aîné, fréquente les expositions et les musées.
Amédée est de santé fragile, le climat du nord ne lui convient pas. Suite à une pleurésie, il est envoyé dans le sud, plus au chaud dans un collège dominicain à Arcachon, le collège Saint-Elme. Il réalise là-bas ses premiers dessins, ses premières aquarelles. Les arts plastiques lui plaisent contrairement aux études classiques qu’il trouve rébarbatives, ennuyeuses. Ses études terminées, au bout de trois années il retourne à Saint-Quentin. Dans sa ville natale, il suit durant une année des cours particuliers de dessin auprès du directeur de l’Ecole municipale Quentin Latour.
Dès l’âge de dix-neuf ans il parcourt souvent l’après-midi la campagne environnante à vélo avec un chevalet sur le dos et commence à réaliser quelques huiles sur le motif ; le matin il continue son apprentissage du dessin auprès de plusieurs enseignants. Parfois il fait l’aller et retour à Paris et suit les cours d’art décoratif de Maurice Verneuil puis de Charles Cottet.
Il décide après une vive discussion familiale de s’installer à Paris. Son père est d’accord pour financer son séjour, à la condition qu’il suive à la fois des cours de peinture mais également des cours d’architecture dans un atelier, le cabinet Guichard et Lessage, rue Saint-André des Arts au quartier latin, non loin de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts. Cet atelier prépare à l’entrée des Beaux-Arts. Son père désire avant tout qu’il devienne architecte pour prendre la suite de l’entreprise familiale qu’il a créée.
Très vite cependant il abandonne l’architecture au désespoir de son père. Sa mère le soutient, influence son mari et le père finalement accepte de continuer à entretenir financièrement son fils sous réserve que ces études de peinture soient suivies sérieusement et assidûment.
Amédée Ozenfant s’inscrit alors à l’Académie de la Palette. Les cours sont dispensés par Dunoyer de Segonzac, Roger de la Fresnaye. A cette époque, Ozenfant lit énormément, se rend régulièrement aux concerts et à l’Opéra, fréquente des cercles artistiques dont essentiellement celui des symbolistes. Contrairement à ne nombreux autres artistes de l’époque, il a une vie confortable, sans aucun problème d’argent.
En 1908, il expose pour la première fois au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts.
Il rencontre alors à l’Académie de La Palette une jeune artiste russe, Zina de Klingber.
Ils louent ensemble un atelier à Montparnasse, rue Campagne Première.
En 1910 il se marie à Saint Pétersbourg avec Zina et séjourne avec elle, à partir de cette date, à plusieurs reprises en Russie et principalement dans la petite ville de Perm.
La même année il expose au Salon d’Automne sous le nom de : Ozenfant de Klingberg.
Son frère cadet Jean est passionné comme lui de mécanique et ils décident tous les deux de dessiner et de réaliser une nouvelle carrosserie pour une Hispano-Suiza, voiture de luxe de l’époque. Cette voiture est réalisée et présentée avec succès au Salon de l’Automobile de Paris en 1911.
1913. Ozenfant rentre seul de son dernier voyage en Russie. Zina reste auprès de sa famille plusieurs semaines avant de rejoindre la capitale française.
1914. Son frère Jean meurt subitement. Amédée part pour le sud de la France, réalise quelques dessins à la mine de plomb qu’il considérera plus tard comme étant des œuvres caractéristiques des prémisses du purisme ; il fait la connaissance dans le même temps du peintre Paul Signac avec lequel il reste par la suite en contact. Il est à Marseille lorsqu’il apprend que la guerre éclate ainsi que la mobilisation générale. Il est réformé pour raison de santé et part avec sa famille dans le sud-ouest de la France.
En 1915, Ozenfant qui est vexé d’avoir été réformé veut participer à sa manière à l’effort de guerre. Il lance alors une revue intitulée : L’Elan. Cette dernière se veut d’avant-garde et destinée à maintenir des liens avec les autres artistes de l’époque. Il rencontre de nouveau Signac, fait la connaissance de l’Italien Gino Severini, de l’espagnol Juan Gris. Au contact de Severini il réalise avec succès des essais de typographie. Le poète Paul Fort participe au premier numéro, les peintres André Lhote, Metzinger, Derain répondent présent avec des illustrations mais également aussi avec des apports de textes comme ceux de Lhote par exemple. Ozenfant publie des dessins avec des réalisations typographiques audacieuses. Guillaume Apollinaire apporte également de larges contributions. La revue ferme ses portes l’année suivante par manque de moyens financiers et dans son dernier numéro Ozenfant avance pour la première fois le terme de purisme.
En 1917 son père Julien Ozenfant meurt et l’entreprise de travaux publics familiale se transforme en société anonyme. L’entreprise décline alors très rapidement, Amédée et sa mère étant incapables de faire face à des difficultés de plus en plus nombreuses. Il fait la connaissance de Germaine Bongard, sœur du couturier Paul Poiret. Ils ont une relation passagère, vivent quelques temps ensemble.
Parmi les nombreux intellectuels que fréquente Amédée Ozenfant, l’architecte Auguste Perret lui est très proche. Ce dernier se propose de lui présenter un de ses anciens dessinateurs, suisse d’origine : Charles-Edouard Jeanneret. Une profonde amitié lie les deux hommes dès les premiers temps. Jeanneret qui venait de quitter la Chaux de Fonds, contrairement à Ozenfant a une vie un peu étriquée. Né dans une famille traditionnelle protestante, il est sous la coupe d’une mère plus que possessive, Jeanneret est timide, vit petitement et a un état d’esprit aussi étriqué que ses petits costumes de mauvaise coupe.
Le 8 Janvier 1918 les deux jeunes hommes se retrouvent pour un déjeuner, échangent sur la peinture. Ozenfant commence à lui parler de ses nouvelles idées, du cubisme, qu’il ne voit pas d’un très bon œil, mais surtout du purisme et de ses théories nouvelles. Jeanneret n’a jamais encore peint à l’huile. Quelques dessins, des aquarelles, mais aucune technique plastique véritable. Le cubisme le « fait rire », il est très conventionnel, très classique dans ses goûts. Son ami l’étonne, le bouscule dans ses choix, lui entrouvre des horizons insoupçonnés sur la peinture, il est séduit par ce discours révolutionnaire, que l’on appellera plus tard d’avant-garde. Il est un petit architecte, Ozenfant lui propose de devenir peintre !
Amédée Ozenfant raconte :
« En mai 1917, j’avais enfin rencontré Charles-Edouard Jeanneret. Une nouvelle vie allait commencer pour lui et pour moi. Une sympathie, puis une amitié se développa : nous admirions l’un comme l’autre les chefs d’œuvre de l’industrie moderne, et Jeanneret avait le sens des très belles choses de l’art, surtout anciennes, car il était encore tout à fait aveugle devant le Cubisme, qui lui faisait hausser les épaules ; je l’initiai et il changea bientôt d’avis, je crois très sincèrement. Je reçus de lui une longue lettre émouvante dont voici quelques lignes :
« …tout est confusion en moi depuis que je me remets à dessiner. Des afflux de sang jettent mes doigts dans l’arbitraire, mon esprit ne commande plus…j’ai la discipline dans mes affaires, je ne l’ai ni dans mon cœur, ni dans mes idées. J’ai trop laissé vivre en moi l’habitude de l’impulsion. Dans mon désarroi j’évoque votre tranquille, nerveuse, claire volonté. Il me semble qu’un gouffre d’âge nous différencie. Je me sens au seuil de l’étude, vous en êtes aux réalisations. Je vois derrière moi le papillonnement de milliers d’intentions, de sensations violentes, successives, et toujours je me disais : un jour je bâtirai. Ces jours venus je suis un pauvre maçon au fond de la fouille, sans plan !…Vous êtes…Celui qui me semble réaliser le plus clairement ce qui s’agite confusément en moi… » (Paris, 9 juin 1918).
Désormais les deux amis passent des week-ends prolongés à Andernos sur le bassin d’Arcachon avec d’autres amis peintres comme André Lhote ou encore des écrivains et des poètes comme Jean Cocteau. En mars Germaine Bongard installe un atelier de couture à Bordeaux et Ozenfant alterne les séjours entre Paris et Bordeaux. Ozenfant lit à Jeanneret ses notes sur le purisme et il lui propose de signer ensemble leurs écrits, d’exposer collectivement. Jeanneret n’a jamais peint à l’huile, il n’a à cette époque réalisé que quelques gouaches. Ozenfant va lui apprendre les techniques de la peinture à l’huile. Les deux amis se retrouvent souvent rue Gaudot de Mauroy à Paris dans l’atelier d’Ozenfant, atelier qu’il a pris suite à son divorce d’avec Zina Klingberg. C’est dans cet atelier que Jeanneret signe ses premières huiles sur toile.
Bien évidemment Jeanneret écrit immédiatement à sa mère en Suisse pour lui faire part de cette rencontre, de ce nouvel ami, de ses émotions, de ses révélations, de cette nouvelle envie de peindre. Il lui explique combien Ozenfant lui est supérieur.
Les relations entre Jeanneret et Ozenfant deviennent fusionnelles et vont très vite dépasser le simple stade de l’amitié.
Après l’armistice, les deux amis se mettent d’accord pour réaliser ensemble une publication intitulée pompeusement Après le Cubisme. Ils travaillent dans le même temps à une présentation commune qui aura lieu rue de Penthièvre à Paris dans les locaux de la maison de couture de Germaine Bongard. Ce local prendra pour cette occasion le nom de Galerie Thomas.
Cette exposition peut être considérée comme l’antichambre du mouvement puriste ; Ozenfant et Jeanneret utilisent pour la réalisation de leurs natures mortes des objets industriels de la vie quotidienne : bouteilles, verres différents, vases, carafes. Ils ne veulent prendre dans les objets que leur qualité élémentaire quant à leur forme et à leurs couleurs, c’est ce qu’Ozenfant définit quelques temps plus tard dans le terme d’invariant.
Le catalogue de l’exposition est relié à la suite du petit ouvrage Après le Cubisme et indique qu’Ozenfant présente vingt œuvres et Jeanneret dix. La prééminence de Ozenfant sur Jeanneret est parlante dans ce déséquilibre du nombre des œuvres entre les deux artistes, mais c’est une prééminence consentie de la part du jeune architecte, son admiration pour Ozenfant est telle que cela lui semble naturel. De plus il a fallu faire vite pour cette exposition et Jeanneret n’a pas encore la maîtrise technique nécessaire.
Quant aux dessins exposés à la Galerie Thomas, ils sont pour certains d’une très grande précision technique et reflètent à eux seuls le message puriste proposé par les deux artistes. Pour cela Ozenfant utilise une technique nouvelle grâce essentiellement à une mine très fine, un crayon excessivement dur appelé Koh-I-Noor 9H. L’œuvre de 1917 Bouteille, pipe et livre appelée également Table, pipe, bouteille, papier en est un exemple parfait.
En 1919 Ozenfant rencontre Paul Dermée qui a pour projet de créer une revue. Des échanges ont lieu quant à l’appellation de cette revue entre Dermée, Guillaume Apollinaire et Ozenfant. Le titre L’Esprit Nouveau est trouvé, probablement à l’initiative du poète Guillaume Apollinaire.
Paul Dermée est le directeur de cette nouvelle revue, Jeanneret s’occupe des finances et Amédée Ozenfant en devient le directeur artistique avec le choix des intervenants, des articles, des illustrations, de la direction philosophique et esthétique. Le premier numéro voit le jour le 15 octobre 1920. Cependant Jeanneret et Ozenfant décident de prendre la codirection de la revue et Dermée est démis de ses fonctions après seulement trois numéros.
Pour écrire dans l’Esprit Nouveau, Ozenfant utilise le plus souvent au début des pseudonymes tels Saugnier ou encore Vaucrecy. C’est à cette époque qu’il rencontre Fernand Léger et que va naître une profonde amitié. Les deux hommes ont des personnalités différentes, ne viennent pas du même milieu social, cependant la même vision de l’art, le même regard sur la société industrielle naissante les réunit.
Dans le même temps d’autres revues apparaissent ainsi que d’autres mouvements artistiques comme Dada. Certains artistes adhèrent au purisme tout en étant adeptes des idées de Dada. Si le purisme représente la rigueur à tous les niveaux, Dada, lui, utilise la fantaisie et la provocation. Si Jeanneret rejette violemment Dada, Ozenfant reste plus ouvert et fréquente certains cercles et surtout se lie d’amitié avec bon nombre d’artistes comme Breton ou encore le peintre russe Serge Charchoune qui de son côté est très attiré également par le purisme.
En 1921 a lieu la deuxième exposition Ozenfant et Jeanneret à la galerieDruet. Dans le numéro 4 de L’Esprit nouveau du mois de janvier l’on découvre un texte qui fera date sur le purisme.
Le principe des invariants s’affirme dans cette exposition, les dessins préparatoires permettent de comprendre l’esprit de recherche d’Amédée Ozenfant. Il utilise un alphabet de forme déclencheur de sensations constantes ; triangles, cercles, carrés engendrent des dérivés créant ainsi une gamme élargie mais ayant toujours pour base ces invariants. Les couleurs sont quant à elles posées à plat sans aucune nuance. Dans cette exposition la parité du nombre des œuvres est désormais respectée ; autant de créations pour Ozenfant que pour Jeanneret. Les réalisations se ressemblent et il est souvent impossible de distinguer une œuvre d’Ozenfant ou de Jeanneret et vice versa.
Le critique d’art Maurice Raynal cherche à établir des différences entre eux ; chez Ozenfant la déduction, la réflexion lui apparaît comme plus rationnelle alors que chez Jeanneret elle lui semble plus délicate, plus sensible. Ozenfant prévoit et construit ses compositions avec logique, Jeanneret les élabore plus instinctivement. Chacun de leurs tableaux est l’objet d’un travail préparatoire important, surtout chez Ozenfant. De nombreux dessins ou pastels préparatoires précèdent la toile pour chaque réalisation.
Ozenfant réalise ses dessins à la mine de graphite très dure la plupart du temps sur du papier Vergé ou sur du papier qu’il fabrique lui-même.
Ozenfant est non seulement un théoricien de génie mais il est également ouvert à des techniques liées souvent aux arts appliqués qui se développent durant ces années riches en créativité : la photographie, le cinéma, la mécanique, la radio et aussi la fabrication de différents papiers adaptés soit à la pointe dure de la mine de graphite, soit au pastel ou à l’aquarelle. Les épaisseurs des papiers sont ainsi différentes en fonction des médias utilisés ; assez épais pour l’aquarelle, plus fins pour le pastel ou la mine de graphite.
Quelques temps après l’exposition Léonce Rosenberg contacte Ozenfant. Il lui propose d’exposer quelques œuvres dans sa galerie. Ozenfant signe un contrat avec Léonce Rosenberg afin d’être présent à la prochaine exposition qu’il prépare comme chaque année dans sa galerie. Cette galerie est prestigieuse, reconnue dans le milieu parisien de la peinture. L’exposition a lieu du 2 au 25 mai 1921. Les tableaux d’Ozenfant comme ceux de Jeanneret sont aux côtés de ceux de Picasso, Juan Gris, Mondrian, Braque, Herbin, Gleizes.
La même année, Amédée Ozenfant fait la connaissance de Raoul La Roche, banquier, citoyen suisse, jouissant de revenus importants et grand amateur d’art. La Roche achète plusieurs œuvres à Ozenfant mais également à Jeanneret.
Des différences de point de vue apparaissent de plus en plus souvent au sein de la direction de L’Esprit Nouveau ; Jeanneret et Ozenfant, chacun de leur côté essaient de mettre en avant leur point de vue. Ils ne sont plus d’accord sur la façon de diriger la revue ; des lettres de plus en plus véhémentes sont adressées de part et d’autre. Le climat se détériore de jour en jour et ne fait que s’amplifier jusqu’à la démission de Ozenfant de ses fonctions d’administrateur de la revue en 1925.
Malgré les divergences une troisième et dernière exposition commune a lieu de janvier à mars 1923 : Ozenfant et Jeanneret à la galerie L’Effort Moderne de Léonce Rosenberg, rue de Baume à Paris.
En dépit de ces désaccords, Ozenfant demande à son ami de lui construire une maison-atelier selon ses propres esquisses, avec un cahier des charges très précis. Celui qui désormais adopte le nom de Le Corbusier accepte la commande et entreprend avec son cousin Pierre Jeanneret la construction de la bâtisse, avenue Reille à Paris. En 1924, après deux années de travaux, la maison atelier est pratiquement terminée.
Malgré les différences de vue et son départ de l’Esprit Nouveau, Ozenfant publie avec Le Corbusier lors de l’été 1925 un autre ouvrage majeur, La Peinture Moderne. Cet ouvrage constitue l’ultime collaboration intellectuelle entre les deux frères puristes. Il expose dans le Pavillon de l’Esprit Nouveau construit par Le Corbusier dans le cadre du Salon International des Arts Décoratifs à Paris. Sont présentés également à cette exposition, Mondrian, Gris, Lipchitz, Braque, et beaucoup d’autres créateurs fidèles au purisme et aux principes fondamentaux de cet Esprit Nouveau.
Entre 1926 et 1930, Ozenfant donne à ses compositions peintes une dimension plus importante, monumentale. Il utilise des formes à évocation architecturale. Durant cette période charnière de production Ozenfant travaille avec Léger et enseigne à l’Académie Modernequ’ils ont créée ; Il remplace Fernand Léger dans son enseignement très souvent ou travaille en alternance avec ce dernier, jusqu’au début de l’année 1929. L’Académie Moderne est fréquentée à cette époque par Clausen, Marcelle Cahn et par celle qui deviendra Madame Fernand Léger. De nombreux autres artistes très connus aujourd’hui suivent les enseignements de l’Académie Moderne.
L’année 1926 verra la confirmation du talent de Le Corbusier en tant qu’architecte au niveau international. Les difficultés de l’Esprit Nouveau, cette réussite ascendante de Le Corbusier vont accroître les dissensions entre Ozenfant et son ami architecte ; les deux frères, les deux inséparables vont définitivement prendre chacun des chemins opposés. Les courriers échangés sont de plus en plus violents et engendrent un mépris, une haine réciproque. Les frères ennemis du purisme ne se verront plus durant de nombreuses années. Leur ego respectif démesuré les empêchera certainement de faire « un premier pas réparateur » et d’oublier les différends antérieurs. Le Corbusier en fait n’accepte plus d’être sous la coupe de celui qui lui a tout appris ; non seulement la peinture mais également une certaine manière d’être dans un environnement intellectuel raffiné qui n’était pas le sien au départ. Il veut oublier, ignorer celui qui fut son maître et passer définitivement de l’ombre au soleil. Ozenfant connaît de fait les faiblesses de Jeanneret et ce dernier ne le supporte plus, il est désormais Le Corbusier assoiffé de reconnaissance artistique mais également sociale.
Durant cette même année Amédée Ozenfant rencontre une jeune femme, Marthe-Thérèse Marteau. Cette dernière travaille comme modiste chez le grand couturier Jean Patou. Ils se marient et ouvrent conjointement leur propre maison de couture, Place de la Trinité à Paris. La maison de couture prend le nom de : Amédée. Cette maison de couture permet au jeune couple de souffler un peu financièrement ; les commandes en tableaux sont rares et les temps deviennent difficiles pour la création artistique et le marché de l’art. Bien entendu Le Corbusier dénigre cette initiative et ne perd pas une occasion de se moquer publiquement et ouvertement de son ami Ozenfant en affirmant que la couture n’est pas digne d’un artiste, d’un créateur, d’un peintre.
L’année 1926 est également celle où Ozenfant entreprend de grandes compositions murales tout comme son ami Fernand Léger.
En 1927, Ozenfant rompt avec l’iconographie et les principes formels du purisme. Il réintroduit dans ses toiles la figure humaine comme par exemple avec une huile sur toile audacieuse et remarquable : Femme et Enfant
L’année suivante Ozenfant publie : Art. L’ouvrage se présente comme un bilan des arts modernes tout en présentant un nouvel esprit, une nouvelle esthétique. La galerie Hodebert-Barbazanges organise sa première exposition particulière à Paris.
En 1930 Amédée Ozenfant participe à plusieurs expositions du mouvement post-cubiste Cercle et Carré, expositions dans lesquelles il retrouve des amis peintres présents déjà dans sa revue L’Esprit Nouveau.
Il voyage beaucoup, essentiellement en Allemagne, donne des conférences avec succès dans différentes villes : Berlin, Dessau, Hanovre, Hambourg. Il fait la connaissance de l’architecte Eric Mendelsohn qui admire sa peinture. Mendelshon lui commande plusieurs ensembles décoratifs, fresques et panneaux muraux pour sa villa de Berlin.
Durant ce périple allemand il en profite pour visiter le Bauhaus à Dessau.
De retour à Paris il ouvre en 1932 dans le cadre de sa maison atelier de l’avenue Reille L’Académie Ozenfant dans laquelle il formera de nombreux élèves, dont par exemple Henri Goetz.
Après plusieurs voyages en Grèce, en Turquie, il rejoint l’Angleterre où il rencontre d’autres artistes. La vie à Londres lui plaît. Les événements sociaux en France se multiplient, la vie devient difficile et il songe après plusieurs allers et retours à transférer son académie de peinture en Angleterre.
En 1936, il s’installe avec son épouse Marthe à Londres et ouvre peu de temps après, au mois de mai : L’Ozenfant Academy. Il en profite pour perfectionner son anglais, langue qu’il affectionne tout particulièrement. Il continue ses allers retours entre Paris et Londres, dispense des cours au Lycée Français de Londres et à l’Institut Français. Il publie en 1938 un ouvrage : Tour de Grèce.
Durant l’été 1938 il part sur l’invitation du peintre Jean Lurçat aux Etats-Unis, donne quelques cours à l’Université de Seattle. Il parcourt une partie des Etats-Unis en car avec son épouse et le pays leur plaît. En Europe, des événements inquiétants se succèdent depuis quelques temps ; Ozenfant est soucieux ; il rentre à Londres et déménage pour s’installer en février 1939 à New-York.
Dans ses mémoires Ozenfant relate cette arrivée en bateau à New-York d’une manière enthousiaste. Il est heureux de découvrir le nouveau monde, parcourt à pieds avec Marthe les rues de New-York : manifestement une vie nouvelle s’offre à lui, il est tout simplement heureux, rempli de projets.
A nouveau il ouvre une académie de peinture dès la fin juillet : l’Ozenfant School of Fine Arts. Il publie la même année en anglais : Journey trough Life. New-York l’attend et s’ouvre à lui avec des rencontres, des expériences nouvelles, des expositions, des commandes officielles.
En 1940 le Art Club of Chicago lui organise une exposition particulière ; cette exposition est itinérante et se rend dans l’état du Minnesota à Saint Paul dans le cadre de la Gallery and School of Art ainsi que dans le Michigan : Ann Arbor University. Le public américain le découvre et il vend plusieurs œuvres.
La Bignou Gallery de New-York l’expose dès 1941 ainsi que la galeriePassedoit également à New-York puis la galerieNierendorf à Berlin. Ozenfant participe très tôt et durant de nombreuses années à La Voix de l’Amérique, émission radiophonique créée par le journaliste Pierre Lazareff et Lewis Galantière ; de nombreux réfugiés vont apporter leur voix à cette radio de résistance. Elle représente en France, la résistance intellectuelle au travers des artistes de renoms ayant quitté l’Europe.
En 1944 Ozenfant est naturalisé citoyen américain. Sa peinture est appréciée aux Etats Unis d’Amérique, il s’y sent bien et son école connaît désormais un réel succès sur New York.
En 1949 il reçoit la Légion d’Honneur de la part de l’Etat français.
Il réalise toute une série de tableaux sur l’Amérique, ses gratte-ciel, ses buildings illuminés la nuit, ses ponts. Il répond également à des commandes de plusieurs états pour des bâtiments publics.
A partir de 1952 il revient à plusieurs reprises en France pour passer l’été, visite son ami Picasso dans le sud, à Vallauris ou à Cannes. Il participe à la Biennale de Sao Paulo. La France lui manque, mais il est désormais plus connu aux Etats-Unis qu’en France et la décision d’un éventuel retour est difficile. Personne ne l’attend plus en France et les milieux officiels de l’art lui tournent un peu le dos.
C’est un américain qui lui organise une exposition particulière à Paris dans sa galerie : Edwin Livengood installé dans la capitale depuis de nombreuses années et qui a bien évidemment entendu parler d’Amédée Ozenfant : exposition donc à la galerie de Berrien 1954, puis à la galerie Berri-Lardy cette fois en 1956.
Ozenfant revient en France avec Marthe son épouse. Le retour est moins glorieux, il ne lui reste que très peu d’argent et les ennuis commencent dès le débarquement des caisses contenant non seulement ses affaires personnelles mais également des centaines d’œuvres sur papier, des toiles. Un container suite à une fausse manœuvre des dockers tombe dans le port de Marseille avec l’ensemble de ses créations. Récupérer le contenu nécessite plusieurs heures et toutes les œuvres sur papier sont définitivement perdues, de même pour ses archives personnelles, ses livres. Amédée Ozenfant est désespéré, anéanti. Il s’installe définitivement sur la côte d’azur, à Cannes.
Ozenfant recouvre la nationalité française et renonce à son passeport américain ; après plusieurs échecs de tentatives d’expositions personnelles, il fait une rencontre qui sera déterminante pour lui. En effet un ami lui présente Katia Granoff qui a une galerie importante à Paris. Katia est conquise par l’homme et par l’artiste ; elle lui organise une première exposition particulière. L’exposition connaît un certain succès, les premières ventes arrivent, les collectionneurs ouvrent petit à petit leurs portes. Amédée continue cependant à donner des cours chez lui à quelques élèves, car l’enseignement, la transmission sont importants pour lui.
En 1962 il signe un contrat avec Katia Granoff. La vie se présente plus sereine ; plus de soucis d’argent. Katia lui achète l’ensemble de ce qu’il produit et il peut peindre désormais en toute quiétude, sans crainte du lendemain. La même année il est nommé Officier de l’Ordre des Arts et Lettres.
Les expositions se succèdent tant à Paris qu’à Cannes chez Katia Granoff. En 1964 le Château Musée de Cagnes sur Mer lui consacre également une exposition.
En 1966, il meurt dans sa ville d’adoption des suites d’une opération et deux ans plus tard Katia Granoff publie les Mémoires de son ami Ozenfant. Ces dernières sont riches en anecdotes et donnent un éclairage intime du monde de l’art sur plusieurs dizaines d’année, tant en France qu’aux Etats-Unis. Son épouse meurt quelques années plus tard. Les Ozenfant n’ont pas d’enfant, pas d’héritier. Marthe lègue leur appartement de Cannes avec tout ce qu’il contient au couple de gardiens de leur immeuble. Ces derniers se sont occupés d’eux avec dévouement les dernières années de leur vie et c’est tout naturellement pour Marthe qu’elle les a désignés en tant qu’héritiers.
Si une partie importante des toiles revient à Katia Granoff selon la volonté d’Amédée Ozenfant une partie toute aussi importante restée dans l’appartement à la mort de Marthe revient à leurs fidèles gardiens. Beaucoup d’œuvres sur papier : pastels, aquarelles et gouaches vont ainsi disparaître du circuit du marché de l’art, de même pour de nombreuses archives personnelles : correspondance, écrits personnels etc.
Ozenfant marque de son empreinte, cette première moitié du vingtième siècle. Le mouvement puriste dont il a été le véritable initiateur et théoricien influencera des artistes du monde entier et l’on peut affirmer que ce courant esthétique, gardera encore durant des années, une fraîcheur et une authenticité digne du cristal recherché par son créateur.