Expert en tableaux modernes et dessins XIXᵉ & XXᵉ

RENÉ RIMBERT

C’est en 1974, au cours d’une rétrospective que Madame Livengood me présenta physiquement  à René Rimbert avec lequel j’entretenais déjà, depuis de nombreuses années une correspondance fournie. Cent treize lettres ont été échangées avant cette rencontre, lettres auxquelles il a toujours répondu avec gentillesse et simplicité. Ce soir de mars 1974, je ne devais jamais l’oublier ! En effet durant notre correspondance Rimbert me parlait régulièrement de « son ami russe » qu’il connaît depuis presque cinquante ans, cet ami russe avec lequel il se promène souvent dans les rues de Paris, tout en parlant de leurs passions communes : la philosophie, la spiritualité, la musique et la peinture bien sûr. Cet ami russe, c’est Serge Charchoune à qui il me présente à son tour ce 19 mars 1974. Je ne me doutais pas alors que cette date resterait à jamais gravée dans ma mémoire, que ces deux rencontres allaient bouleverser ma vie, déclencher des passions et qu’un jour j’écrirais sur ces deux grands artistes du vingtième siècle.

Malgré la grande différence d’âge, Rimbert avait à cette époque 78 ans, Charchoune 86, alors que j’allais en avoir 25 le mois suivant, le courant passa très vite entre nous. Sans doute cela provenait-il de la grande simplicité des deux hommes et de leurs facultés naturelles à se mettre à la portée du jeune homme que j’étais alors et qui devait les amuser. Je ne devais plus revoir Serge Charchoune. Déjà malade, il mourrait l’année suivante. Quelque temps après, en revanche, je rendis visite à René Rimbert chez lui rue Pierre-Leroux derrière le magasin Le Bon Marché. Il régnait dans le petit appartement, comme dans les toiles de l’artiste une même atmosphère de sérénité, d’harmonie, d’intemporalité inaccessible. René Rimbert, lui aussi, baignait dans une lumière intérieure, le regard bleu dans les nuages comme le bleu du ciel de ses peintures. Je fis à Rimbert ce jour-là, la promesse d’écrire dès que possible un livre sur son œuvre et d’organiser une rétrospective de ses peintures dans un lieu prestigieux.

Quelques mois plus tard, une autre rencontre eut lieu, celle de Dina Vierny, un être rare qui allait aussi compter pour moi, une grande dame de la peinture. Ancien modèle de Maillol et de Matisse, personnage hors du commun, elle avait connu les plus grands artistes du XXème siècle, fréquenté les cercles artistiques et littéraires de l’après-guerre, Dina venait d’organiser une exposition au Japon autour du Douanier Rousseau, avec, entre autres deux œuvres de Rimbert qu’elle ne connaissait pas personnellement, mais dont elle appréciait la peinture.

Durant un déjeuner à la brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain, je défendis l’idée d’une exposition dans sa galerie rue Jacob. Dina me donna son accord à la condition de lui trouver des œuvres et de lui chercher des peintures d’époques différentes dans la production de l’artiste, afin de permettre au public d’avoir une vision globale de l’œuvre de Rimbert.

J’étais ravi et « planais » littéralement en rentrant chez moi. Moi qui n’étais pas, à l’origine, issu de ce milieu très fermé des galeries parisiennes, j’avais fait la connaissance en quelques mois de Chrystel Livengood, René Rimbert, Serge Charchoune et Dina Vierny. Je n’en revenais pas et me mis aussitôt au travail. Dina Vierny, à partir de ce moment- là me prit sous son aile, me fit regarder la peinture sous un œil différent, m’apprit énormément sur le métier de marchand et d’expert. Je lui dois beaucoup. Je pense que nous aurions pu travailler ensemble davantage, mais elle avait deux fils de mon âge et c’était à eux et non à moi d’être à ses côtés. Je me contentais de lui trouver des tableaux régulièrement en France et à l’étranger. A ces occasions nous nous retrouvions avec plaisir autour d’un déjeuner ou chez elle rue de Grenelle, et nous discutions des heures et des heures. Sa disparition m’a fait beaucoup de peine et rempli d’une grande tristesse, l’impression de perdre une seconde mère en même temps qu’une grande amie. Olivier, son fils aîné, a repris le Musée Maillol avec brio, j’en suis heureux pour elle, son œuvre ainsi perdure grâce à lui.

Je cherchais donc des œuvres pour le projet d’exposition à la galerie Dina Vierny. L’exposition eut enfin lieu en novembre 1983 avec un très beau catalogue. Le soir du vernissage, très exactement le 22 novembre 1983, Rimbert était enchanté. Très ému, il dédicaçait le catalogue de son exposition avec toujours la même gentillesse et la même simplicité, avait un mot aimable pour chacun. Il passait devant chacune de ses œuvres anciennes ou récentes, faisait sur chaque toile des commentaires comme s’il les découvrait pour la première fois, tantôt satisfait, tantôt critique. Les peintures avaient traversé le siècle, les œuvres de 1922, 1935, 1950, 1980 avaient la même unicité, la même tenue. Bien malin celui qui pouvait mettre une date sur une toile, l’ensemble avait la même qualité, « la même tenue », atteignait la perfection. Les peintures avaient traversé le XXème siècle sans une ride, avec toujours la même fraîcheur.

Nous étions en présence d’une œuvre inconsciemment cabalistique, porteuse d’un message caché qui s’adressait au profane. Chacune de ces toiles était chargée d’habileté, de métier, une mystérieuse relation s’installait entre la peinture et son spectateur. Ces ruelles vides, ces paysages sereins arrêtés dans le temps laissaient s’évaporer une mystérieuse absence, une vision inattendue de simplicité. La peinture de Rimbert est envoûtante et en même temps qu’elle s’offre au visiteur, l’oblige à s’interroger avec sensibilité sur lui-même et sur le mystère de l’existence.

René Rimbert en ce soir de vernissage apparut inaccessible, il semblait baigner dans un rayonnement intérieur, dans un univers dans lequel on devait être initié, dans lequel surtout les impatients n’avaient pas de place. Cet univers faisait cependant l’unanimité de l’émotion.

Quelques mots maintenant sur René Rimbert

René Rimbert est né à Paris le 20 septembre 1896. Il a une enfance sans problème, la famille s’installe rapidement sur la rive gauche de la Seine où son père exerce la profession de doreur-encadreur. Il dessine très tôt et s’essaie à la peinture. Un de ses oncles lui offre une boîte de peintures à l’huile, boîte de couleurs qu’il gardera toute sa vie. C’est à l’âge de 19 ans qu’il produit sa première peinture à l’huile.

René Rimbert épouse Denise en 1919. Ils partent en voyage de noces pour le village de Denise, Perpezac le Noir que l’artiste peindra si souvent par la suite. C’est la fin de la Guerre, les jeunes époux rejoignent tous deux l’administration des postes.

L’année d’après, en 1920, Rimbert s’inscrit dans un atelier pour se perfectionner dans le dessin et dans la technique si complexe de la peinture à l’huile, l’Académie Colarossi, rue de la Grande Chaumière dans le quartier de Montparnasse. Il présente pour la première fois une œuvre au Salon des Indépendants et il rencontre à cette occasion le peintre Marcel Gromaire qui deviendra à la fois son conseiller et son ami.

Les premières œuvres de René Rimbert et notamment les natures mortes sont très influencées par le cubisme et par Cézanne. En 1922 il vend sa première toile : Le violon et la mandoline de 1921, n° 30 du catalogue raisonné, durant le Salon des Indépendants. Toujours la même année René Rimbert fait une autre rencontre importante, celle du poète Max Jacob.

Une longue amitié s’installe entre les deux hommes. A partir de cette année 1922, vingt années vont s’écouler de rencontres et de correspondances nombreuses entre les deux hommes.

En 1924, sur les conseils de Marcel Gromaire et de Max Jacob, René Rimbert fait son entrée à la galerie Percier et fait ainsi la connaissance de son propriétaire André Level, et de son directeur, René Mendès-France, de Serge Charchoune, un autre artiste peintre, qui deviendra son ami et avec lequel il partagera son amour pour la musique, sa passion pour la philosophie et la théosophie. André Level, devient son premier grand marchand. Il lui vend plusieurs toiles, l’encourage, lui organise sa première exposition particulière d’importance. Max Jacob écrit la préface de la plaquette de l’exposition. Le succès est total.

Picasso, autre artiste qui fréquente la galerie, l’encourage. Rimbert découvre le Douanier Rousseau grâce à Max Jacob et Picasso. Il est « emballé » par le personnage et Rimbert décide de peindre en 1926, une toile à sa gloire : le Douanier Rousseau montant vers la gloire et entrant dans la postérité, numéro 85 du catalogue raisonné de l’œuvre peint de René Rimbert, reproduit pleine page dans le catalogue, page 48.

Picasso a vu la toile sur Rousseau à mon exposition à la galerie Percier et cela l’a fait beaucoup rire, étant un ami du peintre et grand amateur de ses productions….finalement c’est Monsieur Wildenstein grand collectionneur d’œuvres d’art qui en fit l’acquisition en 1937.

Le métier de peintre ne suffit pas à René Rimbert. Son intérêt pour l’ésotérisme, le symbolisme, la philosophie grandit. Il fréquente également les cercles maçonniques.

Entre 1929 et 1930, il peint plusieurs toiles que l’on peut considérer comme majeures : La maison du mystère, Vue sur la Ville ou La fenêtre ouverte puis la Nature morte au jeu de cartes, toutes les trois aujourd’hui au Musée Maillol à Paris. La crise économique de 1929 frappe quant à elle le monde du marché de l’art, plusieurs galeries ferment, de nombreux artistes souffrent. Les années se succèdent difficilement, la crise s’accentue, le Front Populaire en France transforme peu à peu la société.

Il faut attendre 1937 pour voir se tenir une exposition importante : Les Maîtres populaires de la Réalité. Participent Henri Rousseau, André Bauchant, Camille Bombois, Séraphine Louis et René Rimbert avec douze peintures. Cette exposition a lieu non seulement à Paris, mais également en Suisse ainsi que dans plusieurs villes aux Etats-Unis. Pour la première fois, Rimbert expose à l’étranger. La guerre éclate en 1939, Rimbert ne reprend pas les pinceaux et ce jusqu’à la fin des hostilités. En 1944, son ami Max Jacob est arrêté.

René Rimbert, à la fin de la guerre, connaît le succès, il se remet à la peinture. De nombreuses expositions, tant en France qu’à l’étranger vont se succéder. Certes il produit peu, son exigence de qualité fait que les tableaux apparaissent au compte-goutte. Il n’est pas grisé par le succès et produit tranquillement, au rythme qui est le sien. Chaque année, entre quatre et douze tableaux voient le jour. En 1955 il prend sa retraite de l’administration des postes. Désormais il va pouvoir enfin consacrer tout son temps et tout son esprit à la peinture. Henry Certigny, auteur et critique d’art lui écrit plusieurs lettres pour l’encourager.

En 1964, c’est au tour de la galerie Berri-Lardy de lui rendre hommage. L’exposition est encore une fois un immense succès. Edwin Livengood son directeur, américain, fait connaître ses peintures outre–atlantique. C’est ainsi que la galerie Perls de New-York achète régulièrement des œuvres pour sa clientèle prestigieuse. En 1965, René Rimbert participe avec deux toiles, à une importante exposition à Tokyo intitulée : Autour du Douanier Rousseau.

Entre 1966 et 1972 se déroulent plusieurs expositions internationales pour René Rimbert, le Japon à nouveau, puis Londres, la Belgique, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, la Norvège, le Danemark. En 1974, Madame Livengood organise une rétrospective de son œuvre avec trente-huit toiles. L’exposition de ses œuvres est à nouveau un succès ainsi que celle, déjà évoquée, en 1983, à la galerie Dina Vierny.

Rimbert produit toujours aussi peu ; désormais quatre ou cinq toiles chaque année voire moins parfois, il ne souhaite pas augmenter ce rythme. Il n’hésite pas à revenir sur l’ouvrage, à tailler la pierre comme il le dit souvent, cette pierre qui doit s’insérer d’elle même dans l’édifice de son œuvre. « Il faut laisser le temps au temps ». Quarante ans plus tôt son ami Max Jacob avait dit à propos de l’ancien postier : « Il a la patience qui donne l’amour… et le courage qui retient l’amour dans les filets de la discrétion. »

L’année 1983, malheureusement, se termina avec des problèmes de santé pour mon ami artiste. Sa vue déclinait, il décida avec douleur mais avec raison de cesser de peindre, il quitta Paris, pour se retirer avec Denise, son épouse, dans leur village de Perpezac-le-Noir. J’allais les voir l’été suivant, les trouvant tous les deux fatigués, ils avaient du mal à se déplacer et restaient assis à l’intérieur de la petite maison afin de profiter de la fraîcheur des murs. Rimbert essayait de lire, mais sa vue lui faisait défaut. « Je ne peux même plus lire, que me reste-t-il ? ». Je lui prenais la main, j’étais triste pour mon vieil ami. Denise perdait un peu la tête et répétait souvent les mêmes questions…il s’agaçait un peu contre elle…puis, la douceur revenant il lui souriait et les yeux de la vieille dame s’illuminaient. Le bout du chemin cependant était proche, le bateau allait toucher le port…

Ayant beaucoup de mal à garder leur autonomie, ils décidèrent d’un commun accord d’aller dans une maison de retraite médicalisée. Ils eurent une chambre commune, côte à côte comme toujours, afin d’attendre paisiblement la fin. Denise décéda la première et quelques mois plus tard, le 23 mars 1991, René Rimbert connut à son tour son ultime initiation.