Expert en tableaux modernes et dessins XIXᵉ & XXᵉ

AUGUSTIN LESAGE

Augustin Joseph Lesage est né dans le nord de la France, le 9 Août 1876, à Saint-Pierre-lez-Auchel petite commune de l’arrondissement de Béthune dans le Pas de Calais.

Il est issu d’une famille de mineurs, déracinée du monde rural. Son arrière-grand-père, Louis Lesage, tout comme son grand-père Augustin Joseph sont cultivateurs à Saint-Venant. Ils sont l’un et l’autre journaliers et travaillent chez les propriétaires aux alentours, au gré des saisons et des travaux de la terre. Son père, Gustave, lui, quitte le village natal et s’installe à Saint-Pierre-lez-Auchel. C’est là qu’il rencontre sa future femme Mélanie Bernard, elle-même fille de mineur et originaire de Calais.

L’enfance d’Augustin se déroule sans encombre au milieu de la mine, des terrils et des maisons de briques rouges, les corons ; il est scolarisé au sein de l’école créée par la Compagnie des Mines de Ferfay. A cette époque l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de treize ans. Marie, sa sœur la plus jeune, âgée de trois ans décède et cet événement le marque terriblement. Il en parlera bien plus tard à l’âge adulte. Augustin obtient son certificat à l’âge de quatorze ans le 25 juillet 1890 [1]. Par tradition et sans doute aussi pour rapporter une paie de plus au foyer familial, il devient à son tour ouvrier à la mine de Ferfay en tant que galibot [2].

 Jeune homme, il fait la connaissance en 1894 de sa future femme  Irma Armandine Diéval, fille de mineur elle aussi. Le 5 mai 1895 Irma et Augustin ont une fille qu’ils prénomment Marguerite Armandine.  

En 1898, il perd son frère Eustache Bénoni. Les deuils s’accumulent comme souvent dans les familles à cette époque. Lesage endosse l’uniforme et accomplit  son service national.  

Lié à Amboise Lecomte, un autre mineur tout comme lui, Lesage s’intéresse sous son influence à la politique sociale de la petite cité de Ferfay. La vie de la mine, le sort des mineurs l’interpellent, c’est ainsi qu’il assiste à quelques réunions syndicales. Il se présente, influencé par son aîné Amboise Lecomte, aux élections municipales de 1908 sous l’étiquette républicain-démocrate. Il est élu et même réélu quatre ans plus tard en 1912. Il devient petit à petit un notable au sein de la commune, il a la réputation d’être proche des gens et de leurs préoccupations quotidiennes.

C’est à cette même époque, entre 1911 et 1912, qu’il rapporte qu’une chose étrange lui est arrivée lorsqu’il travaillait à la mine : J’étais à la mine, dans une galerie très éloignée, je travaillais seul dans un petit boyau de cinquante centimètres…tout d’un coup j’entends des voix qui me parlent. Je regarde surpris de tous les côtés malgré le fait que je ne pouvais même pas me retourner à cet endroit de la galerie. Voyez ma stupéfaction !..j’avais peur, mes cheveux se dressaient sur ma tête !..j’entends alors : n’aie crainte, nous sommes près de toi, un jour tu seras peintre…

Ce phénomène selon Lesage se renouvelle quelques jours plus tard. Il n’en fait part à personne. Il garde tout ceci au fond de lui-même, n’en parle même pas à sa propre femme, sa plus proche confidente. Il craint semble-t-il que l’on mette sa santé mentale en doute, qu’on le regarde comme un halluciné: j’avais peur que l’on me prenne pour un fou tout simplement. Ces voix vont cependant l’accompagner toute la fin de sa vie à plusieurs reprises et sous différentes formes.

Le désir de peindre désormais  ne l’abandonne pas et devient une obsession ;   les voix petit à petit se transforment en voix intérieures sans jamais  le quitter. Ces voix qu’il entend, qu’il perçoit lui  prédisent un avenir qu’il a peut-être certes envisagé sans oser trop y croire. Si  cela l’inquiète, cela reste évidemment son jardin secret, sa vie intime, personnelle, cela le rend tout simplement heureux.

Ambroise Lecomte  qui l’influence et le guide peu à peu vers le  syndicalisme et la politique, celui encore qui l’a persuadé de se présenter aux élections municipales suit, lui-même une autre inspiration, celle du mouvement spirite . Le spiritisme est à cette époque souvent présent dans les milieux miniers tant en France qu’en Belgique.

 Allan Kardec[3] est perçu comme le chef de file du mouvement  spirite en France : le spiritisme est la doctrine fondée sur l’existence, les manifestations et l’enseignement des espritset que ces esprits sont les âmes de ceux qui ont vécu sur terre ou dans les autres sphères et qui ont quitté leur enveloppe temporelle.[4]

Allan Kardec va écrire les codes du spiritisme, il croit à la réincarnation et il considère qu’afin que les hommes communiquent avec les esprits il faut un intermédiaire, le médium.[5] Le médium devient une notion essentielle pour les spirites.

Lesage raconte plus tard  au docteur Eugène Osty[6] qu’il n’a jamais à l’époque, soit en 1911, entendu parler de cette influence, mais cela semble difficile à admettre. Pourquoi rejette-t-il cette influence à l’époque ? Sans doute parce que cela retire, ou du moins le pense-t-il, de l’attrait à son vécu personnel de la perception des voix qui s’adressent uniquement à lui et qu’il n’est pas sous une influence survenue par l’intermédiaire d’une adhésion à une quelconque école de pensée. Cependant, un peu plus tard, en fait l’année suivante, en 1912, donc très rapidement, il s’implique et croit en tout cela et devient un acteur du mouvement.

 La découverte de la peinture, son besoin de peindre demeurent à jamais pour Augustin Lesage sa démarche personnelle. Il affirme ne subir aucune influence.

Lesage et son ami Lecomte, au motif d’avoir de terribles maux de reins dus au travail à la mine, décident de se rendre près de Douai à Sin-le-Noble très exactement  à l’Institut Psychosique. De retour de ce voyage qui, dit-il plus tard, ne le satisfera pas pleinement, il réussit à se procurer les deux ouvrages de Léon Denis[7], Après la mort et Jeanne d’Arc médium ; ces ouvrages répondent immédiatement en partie à ses attentes et aux questions qu’il se pose depuis l’apparition des voix entendues au fond de la mine. Il écrit immédiatement à  Léon Denis après la lecture des deux livres ; ce dernier l’encourage dans sa quête et lui donne quelques renseignements complémentaires sur le spiritisme[8]. Les deux hommes restent très proches et correspondent désormais régulièrement.

Augustin Lesage décide alors avec quelques amis dont bien sûr Amboise Lecomte de créer un groupe. Ils s’installent tous autour d’une petite table pour prier et attendent que quelque chose se manifeste,  espérant tous un signe quelconque. Lesage raconte cet épisode quelques années plus tard en ces termes : on attend là avec une simplicité, une naïveté, nous avions tous le désir que quelque chose se manifeste…

La petite table ronde sollicitée désigne Lesage comme médium ; il devient ainsi le vecteur, l’intermédiaire  avec l’au-delà, celui qui communique avec les esprits des morts.  Les amis se réunissent désormais tous les jeudis soir. Après plusieurs soirées sans aucun phénomène, une présence se manifeste sous la forme d’une écriture. La main de Lesage bouge et écrit sur une feuille de papier le message suivant : les voix que tu as entendues sont une réalité. Un jour, tu seras peintre. Ecoute bien nos conseils, tu verras qu’un jour tout se réalisera tel que nous le disons. Prends à la lettre ce que nous te dirons et un jour ta mission s’accomplira.

Désormais, chaque jeudi, le médium Augustin Lesage s’exécute,  des messages ou des dessins apparaissent. Ils sont alors signés : Marie, sa plus jeune sœur décédée à l’âge de trois ans. Toutefois il paraît certain qu’il n’est pas naïf et qu’il sait que sa sœur étant morte avant d’avoir appris à lire, à écrire et à dessiner ne peut signer ces messages, mais la pensée de sa sœur fait que par l’intermédiaire de sa main, sa cadette communique de cette manière avec lui. La main, simple instrument de l’au-delà, produit ainsi plusieurs dessins bien remplis au niveau graphique : ovales, spirales, pointillés remplissent le papier sur toute sa surface. Des messages accompagnent ces dessins signés très souvent par sa jeune sœur défunte. Bientôt une nouvelle étape apparaît quant à sa mission lors d’une autre séance et un autre message plus précis lui est communiqué : apprend à prier… puis lors d’une autre séance… aujourd’hui, il n’est plus question de dessin mais de peinture. Oui, un jour tu seras peintre et tes œuvres seront soumises à la science. Tu trouveras cela ridicule dans le début, c’est nous qui tracerons par ta main, ne cherche pas à comprendre, surtout suis bien nos conseils. Tout d’abord nous allons te donner par l’écriture, le nom des pinceaux, des couleurs que tu iras chercher chez monsieur Poriche à Lillers, tu iras chercher là et tu trouveras tout ce qu’il te faudra…tu commenceras sur des feuilles de papier avant de commencer sur la toile.  Le choix du matériel semble désarçonner Lesage ; il fit l’acquisition de ses premières couleurs et de ses premiers pinceaux et nous nous souvenons qu’il semblait ne pas les choisir lui-même, il laissait arrêter sa main là où les esprits voulaient arrêter leur choix.

Peu après Lesage réalise avec ses nouveaux matériaux quelques ébauches sur du papier qu’il fixe au mur de la cuisine. Hésitant, il raconte qu’il tapote avec un gros pinceau et signe ses dessins du prénom de sa jeune sœur disparue : Marie. Dans ces premiers dessins dont il ne reste semble-t-il que deux ou trois exemplaires, l’on retrouve les courbes et les spirales évoquées plus haut. Il demande à un de ses amis de lui acheter une toile, une vraie toile pour peindre et non plus cette fois sur des feuilles de papier. Son ami lui apporte une toile roulée et non une toile tendue sur châssis, cette toile d’une surface totale de neuf mètres carrés le laisse perplexe. Il pense la découper pour obtenir de plus petits formats mais il dit plus tard que ses voix lui ont ordonné de commencer à peindre directement. Il tend cette toile de 300 X 300 cm sur un mur puis commence à peindre dans un coin en haut à droite. Nous sommes en 1912.

 L’esprit m’a tenu dans ce coin durant trois semaines consécutives ne sachant pas très bien où j’allais….après tout s’est développé, le pinceau a marché de gauche à droite, il y eu de la symétrie.

Lesage semble ne pas trop savoir ce qui lui arrive ni où il va ; sans aucun plan, il suit simplement ses voix. On lui a ordonné de commencer par le haut à droite sans se préoccuper du reste. Peu à peu la symétrie  apparaît, l’espace géométrique prend sa place sans aucune volonté particulière de sa part. Lorsqu’il rentre de la mine, chaque soir, il se met à la peinture dans cette pièce à vivre qui lui sert de cuisine, de salle à manger et d’atelier. Il  met plus d’une année à venir à bout de ce travail, à terminer cette première œuvre. Cependant il ressent en peignant ainsi chaque jour, une satisfaction, une plénitude, qu’il n’a jamais ressentie auparavant : rien n’aurait pu m’empêcher de peindre, j’ai continué ainsi jusqu’à la guerre.

 Lesage et Lecomte entreprennent alors une nouvelle expérience avec succès ; le guérissage [9] et ceci les occupe pleinement : Il est venu des malades de tous côtés. Nous en trouvions jusqu’à cinquante le soir en rentrant de la mine. Nous n’avions plus le temps de nous laver, il fallait soigner.[10]

Bientôt on propose aux deux amis de créer à Béthune une annexe de l’Institut Psychosique. La famille de Lesage n’est pas très heureuse et réagit car Augustin démissionne de son travail à la mine pour se lancer dans cette aventure. L’institut affirme à Lesage qu’on lui laissera du temps pour peindre. Cependant toute son énergie, tout son temps est consacré aux guérisons des malades qui se présentent toujours plus nombreux. Ce succès n’est pas vu d’un très bon œil par le corps médical qui voit sa clientèle quelque peu détournée par les deux amis. Lesage et Lecomte sont convoqués par le tribunal correctionnel de Béthune, suite à une plainte. En 1913 s’ouvre donc un procès. Maître Godin, avocat de l’Institut Psychosique, les défend, présente de nombreux témoins qui confirment n’avoir eu ni diagnostic, ni prescription médicamenteuse de la part des deux mis en cause. On ne peut ainsi les accuser de s’être fait passer pour des médecins. Le 24 janvier 1914 un jugement les acquitte sans aucun dépens ni frais d’aucune sorte. Le statut de guérisseur spirite leur est ainsi officieusement accordé d’une certaine manière et les deux amis reprennent de plus belle leur activité de guérisseur, et ce  jusqu’à la guerre !…

Augustin Lesage est mobilisé comme tous les hommes de cette tranche d’âge[11] et incorpore le 6ème Régiment d’infanterie à Béthune ; Lesage participe aux batailles de Dunkerque, de Douai sans être blessé. Son père quant à lui meurt l’année suivante, le 6 avril 1915.

En novembre 1916, militaire il est affecté aux mines de Ferfay et aussitôt il en profite pour se remettre à peindre mais abandonne faute de temps le guérissage. En 1918 il est démobilisé et s’installe avec sa famille à Burbure. En mars 1921 il rencontre par l’intermédiaire d’une guérisseuse de Douai, Jean Meyer, directeur de la Revue Spirite et fondateur de l’Institut Métapsychique.  

La santé d’Augustin Lesage se dégrade et plus vite que prévu ; il est obligé d’abandonner la mine pour se consacrer pleinement à la peinture. Nous sommes le 6 juillet 1923. Lesage entame cette fois son métier de peintre comme un vrai professionnel. Techniquement il se perfectionne ; il élabore des « formes » dans différents matériaux, des « calibres » comme une couturière établit des « patrons ». Il utilise des couvercles, des assiettes petites et grandes pour les cercles, des boutons de différents diamètres. Il utilise un compas, une équerre, des règles, un mètre à ruban et exécute des dessins préparatoires pour ses compositions les plus importantes. Il va jusqu’à changer sa façon de commencer son tableau, commence par le centre puis rapporte à droite puis à gauche d’autres éléments en partant d’un axe central tout en essayant de garder la plus grande symétrie possible. Certes il écoute toujours ses voix mais agit personnellement plus systématiquement sur la toile elle-même en utilisant les formes confectionnées et les pinceaux, couleurs et godets disposés cette fois dans un ordre bien précis sur une table à côté de son fauteuil. Lesage s’assume comme une sorte d’artisan appliqué et besogneux chaque fois qu’il peint, mais il ne se reconnaît jamais comme le véritable auteur. Il agit comme un médium-peintre et répète inlassablement : Je fais ce qu’on me fait faire…celui qui me fait peindre se sert de moi comme s’il se servait de ses propres mains quand il vivait…il n’y a rien de moi dans mon travail, il ne m’appartient pas… l’esprit se sert directement de ma main.

Cependant dans l’œuvre de chaque artiste on peut noter dans la création de Lesage des étapes et des époques différentes dans son œuvre. Une première période se distingue dans ses toiles, durant presque dix ans, où l’on ne voit aucun personnage. Entre 1921 et 1929 on est en présence de constructions très architecturées. Les premières œuvres n’occupent pas toute la surface de la toile, un fond uni persiste presque systématiquement. Des compositions symboliques se dressent comme des constructions mystiques, droit vers le ciel et dérangent le regard du spectateur, ce dernier étant comme abasourdi par un spectacle qu’il ne comprend pas.

Cette première période ou phase correspond à celle durant laquelle son ami Lecomte est présent, celle de la mine et des guérisseurs, celle des voix encore inexpliquées !…

La deuxième période, le deuxième apostolat se réalise cette fois avec la présence de Jean Meyer au contact d’une vie publique bien remplie et d’un milieu qui le désigne comme spirite, comme l’un des leurs. A partir de cette nouvelle ère les réalisations au niveau des couleurs évoluent, les tons purs disparaissent pour laisser la place à des couleurs mélangées, les tons deviennent plus chauds avec l’apparition de bruns, de violets, de roux. Les personnages apparaissent, des visages prennent place au milieu de la composition et interpellent par leur regard le spectateur qui peut souvent se sentir mal à l’aise. Les regards des visages sont insistants, très présents, presque agressifs. Lesage prend également quelque liberté avec la symétrie, même si les lignes horizontales demeurent rigoureuses.

Une remarque cependant s’impose, quelles que soient les périodes de sa production : disons le immédiatement, le style de Lesage est unique et reconnaissable au premier coup d’œil ; il ne s’inscrit dans aucune filiation, dans aucun courant, dans aucune école.

A Paris, en 1925 il rencontre le romancier écossais Arthur Conan Doyle dont il a lu les articles sur la malédiction des pharaons vis à vis de Lord Carnavon, mais également pour la première fois physiquement cette fois il rencontre aussi Léon Denis. D’autres personnages importants qui comptent désormais pour lui sont présents,  Louis Viala et  le docteur Eugène Orsy. Ces derniers deviendront  des amis proches également.  Ces rencontres  lui donnent confiance, une assurance qui lui manquait sans doute jusque- là ? Les spirites de leur côté trouvent en lui une justification de leur démarche, de ce véritable échange  avec les esprits des morts. Augusin Lesage  représente à leurs yeux la preuve vivante de leurs propos vis à vis d’un public plus large, au-delà de leurs adeptes.

C’est à partir de ce moment, en 1925, que Lesage va devoir faire attention cependant à ne pas se laisser embrigader systématiquement par le mouvement spirite. Bien sûr il  est difficile de résister et de ne pas être tenté par une trop grande facilité. A partir de la fin de 1925, son horizon  s’élargit, il  participe à de nombreuses réunions d’adeptes mais également  expose dans différents salons officiels. En 1926 il expose au Salon des Beaux- Arts deux œuvres puis en novembre, une très belle huile L’Esprit de la Pyramide au Salon d’Automne.

Tous ces congrès lui demandent beaucoup de présence, beaucoup de temps, sans doute au détriment de celui qu’il consacre à la peinture. Mais encore une fois Augustin se sent valorisé par tant de sollicitude.

Je pense bien souvent, oui un mineur est ici à la Sorbonne, au milieu de toutes ces célébrités scientifiques du monde entier [12]

Un peu plus de deux ans plus tard, en 1929 très exactement Lesage présente deux toiles au prestigieux Salon des Artistes Français ; un très bon accueil lui est réservé. A partir de cette date, sa technique évolue très peu, il peint peut-être un peu plus rapidement et son geste se mécanise. Le plus grand changement se situe au niveau de la composition, de plus en plus décorative et géométrique ; des personnages mythologiques, ou du moins qui se veulent comme tels  apparaissent et remplissent chaque nouvelle toile. L’allégorie prend le pas sur les hallucinations et fait baisser en puissance le message spirituel.

Peut-être peut-on voir dans cette nouvelle façon de peindre une sollicitation sans cesse grandissante du mouvement spirite.

Jean Dubuffet aura plus tard une réflexion qui peut nous laisser à réfléchir : Les milieux spirites souhaitaient trouver dans les peintures de Lesage des confirmations de leurs doctrines de préférence à des créations inédites sans référence ni précédent.[13]

Après les voix et la réalisation qui en a suivi avec sa première toile, Augustin Lesage s’est senti en quelque sorte libéré, il a atteint une plénitude qu’il n’a jamais connue auparavant ; les toiles qui suivront ne feront que répéter cette plénitude sans ajouter de nouveaux éléments. Si la technique picturale s’améliore sans cesse,  il ne peut en être de même de la création, l’artiste  ne se renouvelle pas à chaque fois, il augmente sa production sans une révolution dans les thèmes ou dans l’inspiration. 

Augustin Lesage est avant tout médium, il croit à la réincarnation comme tous les spirites, il est en relation avec les âmes des morts, les esprits désincarnés comme il le répète souvent.

Entre les années 1927-1930 Lesage se sent qui plus est investi d’une mission, celle de faire partager au plus grand nombre, au peuple en quelque sorte la mission que les spirites lui ont confiée ; enfant, galibot, soldat, Lesage a toujours obéit aux ordres, pourquoi ne pas obéir cette fois aux ordres de sa mission ?  En 1927 il dit au Dr Osty : …maintenant avant de peindre, je me recueille et je suis mieux sous la domination de mes guides et le travail est plus facile. Je suis heureux de pouvoir aider au triomphe de l’œuvre et de poursuivre l’œuvre que mes guides m’ont désignée, pour le triomphe du spiritisme…

A partir de 1934 Augustin Lesage entreprend des voyages en France mais également à l’étranger. Il est accompagné de personnalités éminentes issues de la société spirite essentiellement et on lui organise de nombreux déplacements, il n’aura pas à se préoccuper de l’aspect matériel des voyages, les hôtels sont retenus, les expositions préparées, les différentes étapes sélectionnées en fonction des différentes personnalités importantes que Lesage rencontrera. Ces voyages ont certes pour but de véhiculer les idées spirites mais de fait ils lui permettront aussi de promouvoir sa peinture. Il va lui- même adresser préalablement à ses déplacements, des courriers, des communiqués de presse, gérer sa communication comme on pourrait le faire aujourd’hui. En 1936 par exemple en déplacement en Algérie, il écrit : …désirant soumettre mes toiles au jugement de l’élite intellectuelle de la population oranaise, j’ai l’honneur de vous inviter à venir les voir à titre privé le jeudi 19 mars au Conservatoire de musique de 15 heures à 19 heures…

Jean-Louis Viala, homme intelligent, ayant bien réussi, établi  à Oran, rencontre Lesage en 1936 ; grand amateur de sa peinture et spirite lui-même,  il l’accompagne très souvent dans ses voyages. A chaque étape la presse et les personnalités importantes sont invitées. La presse du Pas de Calais le suit régulièrement, ne l’oublie pas et au contraire annonce chaque événement culturel dans lequel l’on peut rencontrer Augustin Lesage et ses peintures. Lesage écrit souvent lui-même aux journalistes locaux avant son passage ; il tient son propre journal chaque jour et note de nombreux détails.

De fait une couverture médiatique importante suit chacune de ses expositions. Par exemple en  1938 un article de février dans le Réveil du Nord témoigne de cette importance de la communication de Lesage : La magnifique tournée des expositions que le peintre mineur Lesage vient de faire en Afrique du nord est présentement terminée. La dernière eut lieu à Casablanca où elle a connu une affluence extraordinaire de visiteurs empressés à satisfaire la plus légitime des curiosités…

 De plus de nombreuses conférences sur Lesage et son œuvre ainsi que sur d’autres sujets [14] accompagnent souvent ses différentes prestations et sont dirigées par ses amis les plus proches, à Rabat, Tunis, Alger, Oran.

L’ancienne Egypte occupe une place importante dans l’esprit d’Augustin Lesage ; il est initié à ses mythes grâce à ses amis des cercles spirites. La découverte du tombeau de Toutankhamon dans la vallée des rois en 1922 par Howard Carter a un retentissement auprès du grand public et ceci dans toute l’Europe. Cette civilisation marque les esprits des intellectuels de tout bord et a une influence chez les francs-maçons, chez les spirites, au sein du compagnonnage. Les Egyptiens apparaissent aux yeux de tous comme les détenteurs d’une vérité spirituelle qui s’exprime au travers des symboles.

Est-ce l’ordonnancement des constructions, l’architecture des monuments, leur monumentalité, le souci du détail qui frappa le plus Augustin Lesage ou bien également le culte des morts et des tombeaux. Nul ne le sait, mais il est logique de se poser la question même sans y apporter de réponse formelle.

En 1939, enfin,  il  accomplit le voyage en Egypte dont il rêve depuis toujours. C’est ainsi qu’il accepte volontiers la proposition de ses  amis Fournier, Viala et des membres de l’Association Guillaume Budé. Il embarque le 21 février à Marseille avec quelques peintures, il est entouré bien sûr de l’ensemble de ses proches : Cher amis, je vais partir faire un grand voyage en Egypte avec l’Association Guillaume Budé, ce sont des savants choisis dans les Université pour compléter le cycle de leurs études sur la Haute et Basse Egypte. J’ai l’itinéraire. L’association me demande de bien vouloir prendre dix toiles, concernant l’Egypte : elle se chargera de faire des expositions de mes œuvres. L’une au Caire et l’autre à Luxor. Il faut que je cherche à rassembler les plus belles, car elles seront étudiées à Paris et en Egypte…Je vous parlerai de ce grand voyage qui comptera dans les annales du spiritualisme. Et en même temps le couronnement de ma belle et noble mission que Dieu m’a confiée devant les hommes… Recevez mes chers amis ma pensée fraternelle.

Une fois sur place, en Egypte, Lesage visite bien sûr les sites les plus prestigieux et durant l’une de ces visites, dans la Tombe de Menna[15] il découvre la scène de la moisson qu’il a représentée dans une de ses dernières toiles peinte à Burbure avant de partir : Une émotion puissante et complexe s’empara de moi. Il me semble tout d’un coup à être si près de cette petite scène encore intacte, à la voir si semblable, à celle que j’avais faite moi-même, il me sembla que j’en étais aussi l’auteur. Il s’établit entre la peinture et moi une indéfinissable correspondance, comme si je ne pouvais discerner si je venais de la peindre ou seulement de la retrouver…

 La déclaration de guerre interrompt ses visites et son voyage en Egypte, Lesage est obligé de rentrer à Burbure. En 1942, la mort de son fils l’atteint au plus profond de lui-même et  il interrompt toute manifestation ; s’ajoute à ceci la santé fragile de son épouse Mandine. Il continue à peindre cependant mais le ton des lettres à ses amis a bien sûr beaucoup changé : Dans les moments difficiles de la journée, j’aime beaucoup méditer devants mes œuvres… Je voudrais tant vivre dans la solitude retiré du monde avec mes chers amis de l’espace, je n’attends rien des humains avant le départ et le grand voyage[16].

Après tous ses grands voyages, Lesage vieillit et il ne se déplace presque plus. Mandine gravement malade s’éteint le 24 juillet 1950 à l’âge de soixante-dix-huit ans. A la fin de sa vie Lesage rencontre des problèmes oculaires, sa vue baisse et il a de plus en plus de mal à  peindre. Il expose encore une fois à Bruxelles en 1951, mais ses forces diminuent, l’abandonnent ; il  arrête de peindre en 1952 et cesse même d’écrire en 1953 ; il se rend malgré tout une dernière fois à Paris en juin 1953 pour une exposition à la Maison des Spirites.

Augustin Lesage malgré tous ces revers et les années qui passent, reste digne, écoute les amis qui viennent le voir. Sa générosité et sa bonté impressionnent les visiteurs. Il attend avec sérénité sa dernière initiation que les profanes appellent la mort. Après une dernière opération chirurgicale à l’œil, il s’éteint le 21 février 1954.

La formule alchimique latine  V.I.T.R.I.O.L : Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultam Lapidem [17] , empruntée par les maçons et que l’on peut lire au sein du cabinet de réflexion durant toute initiation maçonnique, trouve avec Lesage tout son sens.

Descendu dans les entrailles de la terre dès son plus jeune âge, ayant vécu comme galibot dans le noir durant des années, ses voix et sa réflexion lui ont permis d’atteindre la lumière grâce à la peinture.

La mission désormais semble accomplie pour cet artiste autodidacte dont l’enveloppe terrestre retourne à la terre, l’âme en paix, en accord avec lui-même, laissant derrière lui cette fois au plus grand jour une œuvre lumineuse de huit cent  quarante trois peintures [18],  hors du commun, authentiques, et toujours mystérieuses aujourd’hui.


[1] Certificat d‘études primaires délivré par l’Académie de Lille

[2] Enfants employés aux travaux souterrains dans les mines du Nord et du Pas de Calais

[3] Allan Kardec, de son vrai nom : Hippolyte Léon Denizard Rivali, est né le 3 octobre   1804 à Lyon. Il est instituteur.

[4] Le Livre des Esprits, Allan Kardec, 1857

[5] médium du latin medium c’est à dire milieu, intermédiaire

[6] Docteur Eugène Osty, né le 16 mai 1874. Après de brillantes études il ouvre dans un premier temps son cabinet médical dans le Berry, puis s’installe à Paris en 1921

[7] Léon Denis. Après la mort. Exposé de la doctrine des esprits. Librairie des sciences psychiques, Paris, 1910

[8] Léon Denis, franc maçon, ami de Jaurès aurait sans doute aussi contribué quelques années plus tard sans doute après 1925  à l’initiation maçonnique de Lesage.

[9]  Imposition des mains pour soigner par magnétisme

[10] Revue métapsychique, janvier 1928, page 11

[11] Lesage est mentionné comme guérisseur-spirite dans son livret militaire !

[12] Lettre à son fils du 30 octobre 1927

[13] Les Cahiers de l’Art Brut n° 3, page 7

[14] Louis Viala, le commandant Le Breton, conférences sur le thème astral, de 1936 à 1938

[15] Tombe de Menna (Thèbes, XVIIème dynastie)

[16] Lettre à un ami du 3 janvier 1946

[17] Visite l’Intérieur de la Terre et en Rectifiant tu Trouveras la Pierre Cachée

[18] Dixit Christian Allard son arrière petit-fils